Mai 1768 le roi Louis XV devient propriétaire de la Corse qu’il a payée deux cent mille livres à la république de Gênes. Après la Lorraine, réunie au royaume à la mort du roi Stanislas en 1766, l’acquisition de « l’île de beauté » était à mettre à l’actif du ministre Choiseul, le restaurateur de la marine. Depuis 1730, la corse était dans un état d’instabilité permanent. Ses habitants refusaient en effet de payer des impôts aux Génois. Une armée de cinq mille volontaires s’était levée dans la Castagniccia pour marcher sur Bastia dont on avait pillé les magasins. Trois mille Corses affamés, rassemblés au son de coquilles de triton appelés colombas, menaçaient Ajaccio.
Les notables demandèrent les secours de Gênes contre ces révoltes rurales. Pourtant certaines grandes familles, les Tadei, les Giafferi soutenaient les émeutiers au nom du patriotisme corse. Ils revendiquaient l’autonomie pour l’île et le retrait des administrateurs et soldats italiens. Gênes avait obtenu le secours de l’empereur Charles VI de Habsbourg, qui était intervenu, exilant les patriotes.
Mais d’autres reconstituèrent des bandes : Giacinto Paoli et Ambrosi tenaient le maquis. Giafferi, de retour dans l’île, s’était donné le titre de général des Corses, annonçant la libération de la patrie. En 1738, Gênes obtenait l’aide de la France et les régiments du comte de Boissieux avaient obligé Paoli et Giafferi à partir pour l’exil et rétabli l’ordre en Corse. Pourtant la résistance subsistait toujours dans les montagnes. 1748, la France envoyait une nouvelle expédition, à la demande de Gênes, commandée par le marquis de Cursay qui se conduisait déjà en gouverneur. En 1755, un patriote, expatrié pendant quinze ans, rentra au pays, devint l’idole de la Castagniccia, des montagnards du nord de la Corse. Pascal Paoli était le fils de Giacinto. Il continuait le combat.
Elu général à Saint-Antoine-de-Casabianca, il lève des troupes pour former une véritable armée nationale, qu’il habille de drap sombre, avec des guêtres et des bonnets de peau noire. Les hommes sont armés de fusils de chasse, de pistolets et de stylets dont la lame était blanchie dans les eaux pures de la Restonica. Paoli cependant avait des rivaux Mario Emmanuele Matra, fils d’un clan dominant de Serra et Rogna, qui régnait dans la région de Corte, avec le grade de général. Il défendait les notables et non les bergers. Dans le sud, Antonio Colonna était également hostile à Paoli : les Corses se déchiraient entre eux.
Paoli ne pouvait pas être le chef d’une sorte de jacquerie. Il rechercha à son tour le soutien des notables, tenta de résister au blocus Franco-génois. Mais l’île était pauvre, isolée. La monnaie à tête de Maure qu’il avait frappée, fondue avec le métal des cloches et des calices, ne parvenait pas à s’imposer dans le commerce. Les mauvaises récoltes entraînaient la famine. Même les châtaignes manquaient. Gênes crut alors possible d’envoyer quelques troupes, pour la reconquête. Elles furent mal reçues. A quoi bon faire les frais de la répression, pour garder une île peuplée de cent vingt mille habitants constamment rebelles, exportant tout juste de l’huile, du vin, des peaux, du miel et de la cire ? Les Corses étaient tous armés. Ils cachaient leurs fusils jusque dans les églises, sous le maître-autel. Les patriotes étaient irréductibles. Mieux valait vendre la Corse, pensèrent les dirigeants de Gênes.
La France avait alors une politique maritime en Méditerranée. Elle devrait lancer deux campagnes pour venir à bout de la résistance de Paoli et de Jacques Casella, qui défendit, seul, la tour de Nonza, dans le Cap. En 1769, la Corse était française. Cette année-là y naissait Napoléon Bonaparte.
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Giacinto Paoli et Luigi Giafferi
Giacinto Paoli et Luigi Giafferi ne l’entendent pas ainsi. Ils poursuivent leur combat et remportent une précieuse victoire à Borgo, du 7 au 14 décembre 1738. C’est la première contre les troupes françaises. Elle est précieuse, marque les esprits. Si les pertes françaises sont faibles (3 officiers blessés, 22 soldats tués ou blessés), le comte de Boissieux bat tout de même en retraite.
C’est un signe suffisant pour donner une impulsion. Les chefs corses se félicitent évidemment de cette victoire. Mais ils n’ont gagné qu’une bataille, pas la guerre. Après la mort du comte de Boissieux suite à une maladie, est nommé en Corse un homme qui va marquer l’île dans sa chair : le marquis de Maillebois. Il débarque à Calvi le 21 mars 1739 à la tête d’un corps expéditionnaire de plus de 10 000 hommes…